Andre Marie de Chenier

Here you will find the Long Poem A Le Brun Et Au Marquis De Brazais of poet Andre Marie de Chenier

A Le Brun Et Au Marquis De Brazais

Le Brun, qui nous attends aux rives de la Seine,
Quand un destin jaloux loin de toi nous enchaîne;
Toi, Brazais, comme moi sur ces bords appelé,
Sans qui de l'univers je vivrais exilé;
Depuis que de Pandore un regard téméraire 
Versa sur les humains un trésor de misère,
Pensez-vous que du ciel l'indulgente pitié
Leur ait fait un présent plus beau que l'amitié?

Ah! si quelque mortel est né pour la connaître.
C'est nous, âmes de feu, dont l'Amour est le maître. 
Le cruel trop souvent empoisonne ses coups;
Elle garde à nos coeurs ses baumes les plus doux.
Malheur au jeune enfant seul, sans ami, sans guide,
Qui près de la beauté rougit et s'intimide,
Et, d'un pouvoir nouveau lentement dominé, 
Par l'appât du plaisir doucement entraîné,
Crédule, et sur la foi d'un sourire volage,
A cette mer trompeuse et se livre et s'engage!
Combien de fois, tremblant et les larmes aux yeux,
Ses cris accuseront l'inconstance des dieux! 
Combien il frémira d'entendre sur sa tête
Gronder les aquilons et la noire tempête,
Et d'écueils en écueils portera ses douleurs
Sans trouver une main pour essuyer ses pleurs!
Mais heureux dont le zèle, au milieu du naufrage, 
Viendra le recueillir, le pousser au rivage;
Endormir dans ses flancs le poison ennemi;
Réchauffer dans son sein le sein de son ami,
Et de son fol amour étouffer la semence,
Ou du moins dans son coeur ranimer l'espérance! 
Qu'il est beau de savoir, digne d'un tel lien,
Au repos d'un ami sacrifier le sien!
Plaindre de s'immoler l'occasion ravie,
Être heureux de sa joie et vivre de sa vie!

Si le ciel a daigné d'un regard amoureux 
Accueillir ma prière et sourire à mes voeux,
Je ne demande point que mes sillons avides
Boivent l'or du Pactole et ses trésors liquides;
Ni que le diamant, sur la pourpre enchaîné,
Pare mon coeur esclave au Louvre prosterné; 
Ni même, voeu plus doux! que la main d'Uranie
Embellisse mon front des palmes du génie;
Mais que beaucoup d'amis, accueillis dans mes bras,
Se partagent ma vie et pleurent mon trépas;
Que ces doctes héros, dont la main de la Gloire 
A consacré les noms au temple de Mémoire,
Plutôt que leurs talents, inspirent à mon coeur
Les aimables vertus qui firent leur bonheur;
Et que de l'amitié ces antiques modèles
Reconnaissent mes pas sur leurs traces fidèles. 
Si le feu qui respire en leurs divins écrits
D'une vive étincelle échauffa nos esprits;
Si leur gloire en nos coeurs souffle une noble envie,
Oh! suivons donc aussi l'exemple de leur vie:
Gardons d'en négliger la plus belle moitié; 
Soyons heureux comme eux au sein de l'amitié.
Horace, loin des flots qui tourmentent Cythère,
Y retrouvait d'un port l'asile salutaire;
Lui-même au doux Tibulle, à ses tristes amours,
Prêta de l'amitié les utiles secours. 
L'amitié rendit vains tous les traits de Lesbie;
Elle essuya les yeux que fit pleurer Cynthie.
Virgile n'a-t-il pas, d'un vers doux et flatteur,
De Gallus expirant consolé le malheur?
Voilà l'exemple saint que mon coeur leur demande. 
Ovide, ah! qu'à mes yeux ton infortune est grande!
Non pour n'avoir pu faire aux tyrans irrités
Agréer de tes vers les lâches faussetés;
Je plains ton abandon, ta douleur solitaire.
Pas un coeur qui, du tien zélé dépositaire, 
Vienne adoucir ta plaie, apaiser ton effroi,
Et consoler tes pleurs, et pleurer avec toi!
Ce n'est pas nous, amis, qu'un tel foudre menace.
Que des dieux et des rois l'éclatante disgrâce
Nous frappe: leur tonnerre aura trompé leurs mains; 
Nous resterons unis en dépit des destins.
Qu'ils excitent sur nous la fortune cruelle;
Qu'elle arme tous ses traits: nous sommes trois contre elle.
Nos coeurs peuvent l'attendre, et, dans tous ses combats,
L'un sur l'autre appuyés, ne chancelleront pas. 

Oui, mes amis, voilà le bonheur, la sagesse.
Que nous importe alors si le dieu du Permesse
Dédaigne de nous voir, entre ses favoris,
Charmer de l'Hélicon les bocages fleuris?
Aux sentiers où leur vie offre un plus doux exemple, 
Où la félicité les reçut dans son temple,
Nous les aurons suivis, et, jusques au tombeau,
De leur double laurier su ravir le plus beau.
Mais nous pouvons, comme eux, les cueillir l'un et l'autre.
Ils reçurent du ciel un coeur tel que le nôtre; 
Ce coeur fut leur génie; il fut leur Apollon,
Et leur docte fontaine, et leur sacré vallon.
Castor charme les dieux, et son frère l'inspire.
Loin de Patrocle, Achille aurait brisé sa lyre.
C'est près de Pollion, dans les bras de Varus, 
Que Virgile envia le destin de Nisus.
Que dis-je? ils t'ont transmis ce feu qui les domine.
N'ai-je pas vu ta muse au tombeau de Racine,
Le Brun, faire gémir la lyre de douleurs
Que jadis Simonide anima de ses pleurs? 
Et toi, dont le génie, amant de la retraite,
Et des leçons d'Ascra s