Here you will find the Long Poem Les Heures Claires of poet Emile Verhaeren
O la splendeur de notre joie, Tissée en or dans l'air de soie! Voici la maison douce et son pignon léger, Et le jardin et le verger. Voici le banc, sous les pommiers D'où s'effeuille le printemps blanc, A pétales frôlants et lents. Voici des vols de lumineux ramiers Plânant, ainsi que des présages, Dans le ciel clair du paysage. Voici--pareils à des baisers tombés sur terre De la bouche du frêle azur-- Deux bleus étangs simples et purs, Bordés naïvement de fleurs involontaires. O la splendeur de notre joie et de nous-mêmes, En ce jardin où nous vivons de nos emblèmes! Là-bas, de lentes formes passent, Sont-ce nos deux âmes qui se délassent, Au long des bois et des terrasses? Sont-ce tes seins, sont-ce tes yeux Ces deux fleurs d'or harmonieux? Et ces herbes--on dirait des plumages Mouillés dans la source qu'ils plissent-- Sont-ce tes cheveux frais et lisses? Certes, aucun abri ne vaut le clair verger, Ni la maison au toit léger, Ni ce jardin, où le ciel trame Ce climat cher à nos deux âmes. Quoique nous le voyions fleurir devant nos yeux, Ce jardin clair où nous passons silencieux, C'est plus encore en nous que se féconde Le plus joyeux et le plus doux jardin du monde. Car nous vivons toutes les fleurs, Toutes les herbes, toutes les palmes En nos rires et en nos pleurs De bonheur pur et calme. Car nous vivons toutes les transparences De l'étang bleu qui reflète l'exubérance Des roses d'or et des grands lys vermeils: Bouches et lèvres de soleil. Car nous vivons toute la joie Dardée en cris de fête et de printemps, En nos aveux, où se côtoient Les mots fervents et exaltants. Oh! dis, c'est bien en nous que se féconde Le plus joyeux et clair jardin du monde. Ce chapiteau barbare, où des monstres se tordent, Soudés entre eux, à coups de griffes et de dents, En un tumulte fou de sang, de cris ardents, De blessures et de gueules qui s'entre-mordent, C'était moi-même, avant que tu fusses la mienne, O toi la neuve, ô toi l'ancienne! Qui vins à moi des loins d'éternité, Avec, entre tes mains, l'ardeur et la bonté. Je sens en toi les mêmes choses très profondes Qu'en moi-même dormir Et notre soif de souvenir Boire l'écho, où nos passés se correspondent. Nos yeux ont dû pleurer aux mêmes heures, Sans le savoir, pendant l'enfance: Avoir mêmes effrois, mêmes bonheurs, Mêmes éclairs de confiance: Car je te suis lié par l'inconnu Qui me fixait, jadis au fond des avenues Par où passait ma vie aventurière, Et, certes, si j'avais regardé mieux, J'aurais pu voir s'ouvrir tes yeux Depuis longtemps en ses paupières. Le ciel en nuit s'est déplié Et la lune semble veiller Sur le silence endormi. Tout est si pur et clair, Tout est si pur et si pâle dans l'air Et sur les lacs du paysage ami, Qu'elle angoisse, la goutte d'eau Qui tombe d'un roseau Et tinte et puis se tait dans l'eau. Mais j'ai tes mains entre les miennes Et tes yeux sûrs, qui me retiennent, De leurs ferveurs, si doucement; Et je te sens si bien en paix de toute chose, Que rien, pas même un fugitif soupçon de crainte, Ne troublera, fût-ce un moment, La confiance sainte Qui dort en nous comme un enfant repose. Chaque heure, où je pense à ta bonté Si simplement profonde, Je me confonds en prières vers toi. Je suis venu si tard Vers la douceur de ton regard Et de si loin, vers tes deux mains tendues, Tranquillement, par à travers les étendues! J'avais en moi tant de rouille tenace Qui me rongeait, à dents rapaces, La confiance; J'étais si lourd, j'étais si las, J'étais si vieux de méfiance, J'étais si lourd, j'étais si las Du vain chemin de tous mes pas. Je méritais si peu la merveilleuse joie De voir tes pieds illuminer ma voie, Que j'en reste tremblant encore et presqu'en pleurs, Et humble, à tout jamais, en face du bonheur. Tu arbores parfois cette grâce bénigne Du matinal jardin tranquille et sinueux Qui déroule, là-bas, parmi les lointains bleus, Ses doux chemins courbés en cols de cygne. Et, d'autres fois, tu m'es le frisson clair Du vent rapide et miroitant Qui passe, avec ses doigts d'éclair, Dans les crins d'eau de l'étang blanc. Au bon toucher de tes deux mains, Je sens comme des feuilles Me doucement frôler; Que midi brûle le jardin. Les ombres, aussitôt recueillent Les paroles chères dont ton être a tremblé. Chaque moment me semble, grâce à toi, Passer ainsi divinement en moi. Aussi, quand l'heure vient de la nuit blême, Où tu te cèles en toi-même, En refermant les yeux, Sens-tu mon doux regard dévotieux, Plus humble et long qu'une prière, Remercier le tien sous tes closes paupières?