Victor Marie Hugo

Here you will find the Long Poem A propos d'Horace of poet Victor Marie Hugo

A propos d'Horace

Marchands de grec ! marchands de latin ! cuistres ! dogues! 
Philistins ! magisters ! je vous hais, pédagogues ! 
Car, dans votre aplomb grave, infaillible, hébété, 
Vous niez l'idéal, la grâce et la beauté ! 
Car vos textes, vos lois, vos règles sont fossiles ! 
Car, avec l'air profond, vous êtes imbéciles ! 
Car vous enseignez tout, et vous ignorez tout ! 
Car vous êtes mauvais et méchants ! -- Mon sang bout 
Rien qu'à songer au temps où, rêveuse bourrique, 
Grand diable de seize ans, j'étais en rhétorique ! 
Que d'ennuis ! de fureurs ! de bêtises ! -- gredins ! -- 
Que de froids châtiments et que de chocs soudains ! 
«Dimanche en retenue et cinq cents vers d'Horace !» 
Je regardais le monstre aux ongles noirs de crasse, 
Et je balbutiais : «Monsieur... -- Pas de raisons ! 
Vingt fois l'ode à Panclus et l'épître aux Pisons !» 
Or j'avais justement, ce jour là, -- douce idée 
Qui me faisait rêver d'Armide et d'Haydée, -- 
Un rendez-vous avec la fille du portier. 
Grand Dieu ! perdre un tel jour ! le perdre tout entier ! 
Je devais, en parlant d'amour, extase pure ! 
En l'enivrant avec le ciel et la nature, 
La mener, si le temps n'était pas trop mauvais, 
Manger de la galette aux buttes Saint-Gervais ! 
Rêve heureux ! je voyais, dans ma colère bleue, 
Tout cet Éden, congé, les lilas, la banlieue, 
Et j'entendais, parmi le thym et le muguet, 
Les vagues violons de la mère Saguet ! 
O douleur ! furieux, je montais à ma chambre, 
Fournaise au mois de juin, et glacière en décembre ; 
Et, là, je m'écriais : 

-- Horace ! ô bon garçon ! 
Qui vivais dans le calme et selon la raison, 
Et qui t'allais poser, dans ta sagesse franche, 
Sur tout, comme l'oiseau se pose sur la branche, 
Sans peser, sans rester, ne demandant aux dieux 
Que le temps de chanter ton chant libre et joyeux ! 
Tu marchais, écoutant le soir, sous les charmilles, 
Les rires étouffés des folles jeunes filles, 
Les doux chuchotements dans l'angle obscur du bois ; 
Tu courtisais ta belle esclave quelquefois, 
Myrtale aux blonds cheveux, qui s'irrite et se cabre 
Comme la mer creusant les golfes de Calabre, 
Ou bien tu t'accoudais à la table, buvant sec 
Ton vin que tu mettais toi-même en un pot grec. 
Pégase te soufflait des vers de sa narine ; 
Tu songeais; tu faisais des odes à Barine, 
A Mécène, à Virgile, à ton champ de Tibur, 
A Chloë, qui passait le long de ton vieux mur, 
Portant sur son beau front l'amphore délicate. 
La nuit, lorsque Phoebé devient la sombre Hécate, 
Les halliers s'emplissaient pour toi de visions ; 
Tu voyais des lueurs, des formes, des rayons, 
Cerbère se frotter, la queue entre les jambes, 
A Bacchus, dieu des vins et père des ïambes ; 
Silène digérer dans sa grotte, pensif ; 
Et se glisser dans l'ombre, et s'enivrer, lascif, 
Aux blanches nudités des nymphes peu vêtues, 
La faune aux pieds de chèvre, aux oreilles pointues !! 
Horace, quand grisé d'un petit vin sabin, 
Tu surprenais Glycère ou Lycoris au bain, 
Qui t'eût dit, ô Flaccus ! quand tu peignais à Rome 
Les jeunes chevaliers courant dans l'hippodrome, 
Comme Molière a peint en France les marquis, 
Que tu faisais ces vers charmants, profonds, exquis, 
Pour servir, dans le siècle odieux où nous sommes, 
D'instruments de torture à d'horribles bonshommes, 
Mal peignés, mal vêtus, qui mâchent, lourds pédants, 
Comme un singe une fleur, ton nom entre leurs dents ! 
Grimauds hideux qui n'ont, tant leur tête est vidée, 
Jamais eu de maîtresse et jamais eu d'idée ! 
Puis j'ajoutais, farouche : 
-- O cancres ! qui mettez 
Une soutane aux dieux de l'éther irrités, 
Un béguin à Diane, et qui de vos tricornes 
Coiffez sinistrement les olympiens mornes, 
Eunuques, tourmenteurs, crétins, soyez maudits ! 
Car vous êtes les vieux, les noirs, les engourdis, 
Car vous êtes l'hiver ; car vous êtes, ô cruches ! 
L'ours qui va dans les bois cherchant un arbre à ruches, 
L'ombre, le plomb, la mort, la tombe, le néant ! 
Nul ne vit près de vous dressé sur son séant ; 
Et vous pétrifiez d'une haleine sordide 
Le jeune homme naïf, étincelant, splendide ; 
Et vous vous approchez de l'aurore, endormeurs ! 
A Pindare serein plein d'épiques rumeurs, 
A Sophocle,à Térence, à Plaute, à l'ambroisie, 
O traîtres, vous mêlez l'antique hypocrisie, 
Vos ténèbres, vos moeurs, vos jougs, vos exeats, 
Et l'assoupissement des noirs couvents béats ; 
Vos coups d'ongle rayant tous les sublimes livres, 
Vos préjugés qui font vos yeux de brouillards ivres, 
L'horreur de l'avenir, la haine du progrès ; 
Et vousfaites, sans peur, sans pitié, sans regrets, 
A la jeunesse, aux coeurs vierges, à l'espérance, 
Boire dans votre nuit ce vieil opium rance ! 
O fermoirs de la bible humaine ! sacristains 
De l'art, de la sci